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Agora Sud : éléments de clarification
par François Cavallier Maire de Callian
De retour de quelques jours en Haïti, où j'ai trouvé que les rues de Port-au-Prince relativisent beaucoup nos petites misères, je découvre le début de polémique que l'arrivée de McDo dans notre canton rendait inévitable. Ayant délivré ce jour (le mercredi 28 juillet 2010) le permis de construire, dont les éléments sont donc désormais communicables, je souhaite favoriser la diffusion de ces éléments en toute transparence, et affirmer la position de la commune face à un certain nombre d'interrogations et d'interpellations.
a. l'origine de la zone
C'est par le POS de 2001 que la zone dite " Agora Sud ", et qui ne s'est mise à se développer que bien plus tard, est devenue constructible. Pour la petite histoire, ce n'était pas à l'initiative de la commune, mais à celle de l'Etat, qui cherchait à cette époque neuf hectares comme site de repli pour la parfumerie de Seillans, qui, sous l'égide de Danisco, voulait se délocaliser mais en restant dans le canton (ce que Firmenich a accompli depuis lors en dehors). Je ne le mentionne pas pour me défausser, puisque nous n'avons pas pu ou su résister suffisamment, et que donc les choses se sont faites : mais c'est ainsi que cette zone UF a été créée. Voyant qu'une opération d'aménagement unique ne se ferait jamais, nous l'avons ensuite accompagnée d'un règlement spécifique sur l'intégration paysagère et la cohérence architecturale, qui prévoyaient l'orientation vers une architecture sobre et contemporaine : là aussi, pas de réactions, parce qu'il n'y a malheureusement le plus souvent de réactions aux documents d'urbanisme que de la part de ceux qui défendent leurs intérêts privés.
b. ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas
Donc : que la zone soit constructible, cela peut nous être reproché (même si personne ne l'avait fait en 2001 ni depuis), mais que ce soit un restaurant de hamburgers qui s'y ouvre plutôt qu'un sushi bar ou une brasserie alsacienne, ce n'est pas la mairie qui en décide. Je relève dans un certain nombre de commentaires du blog de Pierre Ratcliffe une vision fantasmatique de l'urbanisme, selon laquelle le maire a tout pouvoir (ce dont il abuse avec un arbitraire proportionnel aux enveloppes de cash dont on le gratifie…), mythe cousin de celui derrière lequel s'abritent les partisans de l'anonymat sur Internet : il faut se protéger de la vengeance des élus omnipotents qu'on aurait l'audace de persifler à visage découvert. Pourtant, un maire ne peut délivrer de permis selon son bon plaisir : il constate si la demande est conforme au droit ou non. La marge d'appréciation, fort minime, intervient quand le permis est à la limite de la règle, ce qui n'est pas le cas en l'espèce : il y est complètement conforme. C'est au moment du POS ou du PLU que se passent les choses décisives : ensuite, on ne fait qu'appliquer.
L'urbanisme, ce n'est pas le Monopoly ni Sim City : on ne décide pas de caser un McDo sur le terrain d'un tiers. Certains me reprochent d'avoir " caché " cette arrivée pendant la campagne de 2008 ou encore pendant les derniers vœux. Mais je n'en savais rien à l'époque, cette société ne m'ayant contacté qu'à la fin de l'hiver, ce qui débouche aujourd'hui sur cette autorisation. Ce n'est pas le maire qui a McDo dans sa manche en cachette : c'est McDo qui décide ou non de s'intéresser à un endroit et qui obtient un permis là où il est légal qu'ils l'obtiennent. Tel ou tel maire qui dirait : " jamais McDo chez moi " ne ferait que de la démagogie à bon compte, puisque ne peut déclarer cela que celui qui ne risque pas d'être concerné.
Le fait que la commune ne décide pas des activités ou des enseignes qui viennent (sauf bien sûr quand elle possède elle-même le foncier, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence), est une tendance qui s'est nettement accrue depuis que les règles nationales sur la concurrence (CDEC devenue CDAC) ont libéralisé les implantations et que la disparition de celles qui pouvaient mutualiser les ressources (disparition de la TP veut dire disparition de la TPU…) renforce le besoin que chaque commune a de trouver des ressources, besoin renforcé par la réforme institutionnelle qui affaiblit nos partenaires, et évidemment par la crise.
Pour autant, et consciente des enjeux symboliques de ses implantations rurales (nous ne sommes pas les premiers), la chaine, en nous contactant début 2010, nous a posé la question de savoir si nous accepterions le principe de cette implantation. Toutes les enseignes ne prennent pas ces précautions et d'autres venues n'ont pas fait l'objet de discussions préalables : dans ces situations-là, la commune délivre le permis parce qu'il est légal, et parce que ne pas le délivrer entraînerait un litige coûteux et perdu d'avance. Mais pour McDo, la commune a été consultée en amont. En cela, malgré ce qui vient d'être dit sur l'urbanisme, il est vrai que la commune n'a pas refusé cette implantation, et elle ne l'a pas fait pour une raison très simple : il était absolument inévitable que cette installation, à défaut, se fasse sur une commune voisine. Puisque les inconvénients en étaient déjà présents, nous avons choisi d'en prendre les avantages, c'est-à-dire l'effet de locomotive pour toute la zone Agora, les recettes (PVR, cotisation territoriale) et les trente emplois. La réalité est simple : McDo a 1200 restaurants en France et vient là où il est rentable de venir. Depuis trois ans (j'en avais parlé dans mon blog), la chaîne tâtait le terrain ici ou là, ailleurs qu'à Callian. Mais sa venue dans le canton était acquise : ce n'était qu'une question d'emplacement et de délai.
c. les vrais enjeux
Il est intéressant de tenter de réfléchir aux racines profondes de cette émotion, chez ceux chez qui elle est sincère. Dans les faits, il n'y a pas de différence notoire entre ce restaurant-là et d'autres : on trouve déjà des hamburgers dans le canton, et, puisque j'entends parler de " malbouffe ", je pourrais citer (en privé…) quelques restaurants locaux qui seraient éligibles à ce label. La différence me paraît être d'ordre symbolique, comme si nous prenions conscience, avec cette arrivée, des proportions que notre développement a prises, comme si nous refusions de nous rendre compte que nous avons grandi plus que nous ne l'aurions voulu. Cette affaire nous met en face de nos contradictions : nous voulons tous les avantages du développement mais pas les signes qui nous en feraient prendre conscience. Il y a pourtant une réalité simple, même si elle est déplaisante pour certains : les conditions qui ont fait venir les nouveaux arrivants, et qui ont enrichi les autochtones, devaient faire tôt ou tard que McDo arrive.
Lisant le fil de la discussion sur le même blog, je suis surpris d'y voir justement le débat parfois situé entre nouveaux arrivants et familles de souche. Il est bien entendu évident que si les nouveaux arrivants n'étaient pas arrivés, notre canton n'aurait pas la quantité de population qui entraine mécaniquement l'arrivée d'un fast food. Mais certains des autochtones y sont également pour beaucoup, qui vendent ou louent à prix d'or des biens dont la valeur a beaucoup augmenté en une génération, et qui ne sont donc pas en position de faire la fine bouche. Pourquoi serait-ce davantage au maire qui octroie le permis qu'à l'agriculteur qui loue son terrain qu'on devrait faire grief de cette arrivée, surtout quand ce propriétaire lance en provençal à la télévision des imprécations sur le déclin de l'agriculture ? Par ailleurs, et maintenant que nous sommes le nombre que nous sommes, que veut-on ? Etre une banlieue-dortoir et ne consommer qu'aux Tourrades ou à Puget, ou avoir aussi sur place une économie et des emplois ?
Un internaute met candidement le doigt sur le fond du problème en disant sans rire que tout cela n'intéressera que ceux qui veulent éviter d'aller en ville (c'est-à-dire à mon avis presque tout le monde...). Rapprocher les emplois et les commerces des lieux d'habitation, réduire les trajets pendulaires et les empreintes carbone qui vont avec, n'est-ce pas là aujourd'hui tout le sens des politiques publiques ? On sera surpris, quand on verra le succès de ce restaurant, d'en déduire combien de kilomètres chacun faisait avant pour avoir accès aux mêmes produits qui sont très populaires (par exemple, je n'ai jamais mis les pieds au Quick de Mandelieu sans y croiser à chaque fois beaucoup d'habitants du canton). Enfin, il y a parfois un certain snobisme social ou générationnel à dénigrer cette nourriture. S'il s'agit simplement de se voiler la face, je prends pour ma part le parti de refuser l'hypocrisie.
Sur la question du paysage, j'apporterais des nuances à ce qui est parfois écrit. Oui, la multiplication des enseignes pénalise le paysage agricole de notre plaine (même si rien n'empêchait l'agriculteur qui loue à McDo de continuer à cultiver sa parcelle.) Mais pour Agora Sud, les choses sont acquises depuis 2001, et qui s'en est soucié ? Par ailleurs, je trouve davantage d'inconvénients aux enseignes qui, côté nord de la route, s'interposent entre la route et les villages perchés (je continue de battre ma coulpe sur Weldom, et je maintiens mon engagement dans ce mandat sur son " paysagement "), qu'à celles qui s'installent côté Sud. Les choix architecturaux pour cette zone, qu'encore une fois personne n'a commentés en 2001, encouragent une architecture qui n'est pas nécessairement néo-provençale. Je ne prends pas la défense des cubes de bardage blancs, mais en revanche, je ne comprends pas par quel intégrisme à courte vue il faut considérer qu'on ne peut construire chez nous que des batiments roses ou jaunes avec trois rangs de génoise : un simple regard sur notre histoire montre qu'il s'agit d'une mode très récente et pas d'un dogme immémorial. Le parti pris qui harmonisera les bâtiments de cette zone avec du bois, du verre, de la sobriété est un parti pris qui n'est pas subi mais revendiqué par la commune, et j'en assumerai le prix.
Les commentaires les plus justes à mon sens sont ceux qui mettent en valeur l'importance des Plu et du Scot. Défendre ce qui est perdu depuis longtemps serait un inutile combat d'arrière-garde : mais il reste partout dans cette plaine des espaces paysagers de grande qualité que ces documents peuvent encore protéger. Pour ce qui concerne Callian, chacun pourra vérifier dans le PLU que les zones d'activité en question ne seront pas étendues.
Enfin, cette nouvelle polémique, par la tonalité des commentaires qu'elle entraîne (il est presque ouvertement question de corruption à chaque page) illustre les ambiguïtés profondes de son fonctionnement. Le blog de Pierre Ratcliffe a deux immenses mérites : il est le seul espace cantonal de débat contradictoire, et il représente dorénavant une somme documentaire cantonale sans équivalent, dont la gestion bénévole au quotidien, qui doit être fort ardue, mérite le respect. Mais tout se passe souvent comme si la machine s'était emballée : pour la " nourrir " quantitativement, pour qu'il s'y passe toujours quelque chose, il ne faut pas se montrer trop regardant sur la nature et la qualité des commentaires, dans lesquels je regrette que la manipulation et la calomnie bénéficient parfois d'une certaine complaisance du webmestre, qui se croit obligé de laisser insulter sans cesse les pouvoirs publics pour pouvoir arguer de son indépendance : cela ne nourrit pourtant que le " tous pourris ", qui semble le dernier consensus existant en France . L'immédiateté, le " buzz ", l'audience, le sensationnel, c'est la rumeur érigée au rang d'information, et réputée vraie jusqu'à la preuve de sa fausseté. Or il ne suffit pas qu'il y ait 80 commentaires sur un sujet pour le justifier : l'audience ne tient pas lieu en soi de déontologie. Mais encore une fois, j'ai conscience que ce doit être très difficile. Voir ma réponse concernant ce dernier paragraphe (lien).
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