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  1. LE MONT BEGO Commune de Tende - Alpes-Maritimes - FRANCE
  2. Clarence Bicknell
  3. le Mont Bego et la vallée des merveilles, par Thierry Serres, Ancien directeur du laboratoire départemental de préhistoire des Alpes Maritimes
  4. Henry de Lumley
  5. Musée des merveilles de Tende
  6. Henry de Lumley: des signes pictographiques à l'alphabet

Une forme d'écriture datant de 3 300 ans avant J.-C.

SCIENCES ARCHÉOLOGIE Gravures SACRÉES sur le mont Bego
le Monde Stéphane Foucart ; Article paru dans l'édition du 05.08.04

Peu d'endroits, sur Terre, peuvent se flatter de la proximité des dieux. Le Kaïlash, au Tibet ; le Sinaï, en Egypte; l'Olympe, en Grèce... Dans le massif du Mercantour, aux confins de la France et de l'Italie près de Tende, le Bego fait partie de ces montagnes singulières.

Pendant près de quinze siècles, dès le milieu du quatrième millénaire avant l'ère chrétienne, des hommes sont montés dans les vallées haut perchées autour du Bego pour graver à même la roche de mystérieuses inscriptions figuratives : des formes cornues, des poignards, des hallebardes... En s'approchant du Bego et en traçant des inscriptions propitiatoires, ces prêtres du chalcolithique puis de l'âge du bronze accomplissaient ainsi, comme le pensent la majorité des préhistoriens, l'un des premiers rites religieux identifiés dans cette région d'Europe.

Le décor sied particulièrement au pèlerinage : les contreforts du Bego campent un paysage hiératique et désolé. Un chaos minéral. D'immenses blocs de schiste et de grès gisent éparpillés, comme renversés sur les flancs de la montagne par des forces titanesques. Ecrasant, cataclysmique, le panorama se prête, plus que tout autre, à l'invocation des dieux.

Ce paysage-catastrophe a intrigué bien au-delà de l'âge du bronze. « Un auteur du XIXe siècle a écrit que les armées d'Hannibal étaient passées par ici pour construire un temple gigantesque qu'elles n'ont finalement pas eu le temps d'achever », raconte le préhistorien Henry de Lumley, directeur de l'Institut de paléontologie humaine (IPH). Mais les armées carthaginoises n'y sont, bien sûr, pour rien. Ce sont les glaciers quaternaires qui, en avançant dans le massif, ont mis plusieurs millénaires à modeler ce décor tourmenté et chaotique.

Entre 3300 et 1800 avant notre ère, lorsque les hommes gravent d'étranges glyphes dans la roche, foin de tout cela ! Les explications tiennent surtout à la divine nature des choses. Et des lieux. Aujourd'hui, la toponymie des vallées qui jouxtent le Bego porte encore la marque du sacré et du surnaturel. Ici, le pas du Diable voisine avec le lac d'Enfer et la vallée des Merveilles - où « merveilles » signifie, ici, enchantements et sortilèges.

Quelle magie a-t-on pratiqué autour du Bego ? « Les gravures que l'on retrouve dans les sept secteurs situés autour de la montagne ne s'apparentent pas à de l'art rupestre, explique Henry de Lumley. Il s'agit d'une forme d'écriture : la récurrence des signes identifiés montre qu'il s'agit vraisemblablement d'idéogrammes. » Le corpus des gravures localisées - environ 100 000, distribuées sur plus de 3 700 roches distinctes - permet d'identifier une vingtaine de signes distincts. C'est à partir de ce maigre alphabet idéographique que ces hommes de l'âge du bronze en ont appelé à leurs divinités.

Henry de Lumley, qui supervise le relevé exhaustif de toutes les gravures présentes dans les « sept sanctuaires autour du Bego » identifie un couple divin primitif, fréquemment représenté.

Il s'agit, selon le préhistorien, du dieu-taureau, maître de la foudre, et de la déesse-Terre de la fertilité. Le premier est souvent figuré par un poignard, anthropomorphisé, ou encore, parfois, agrémenté de cornes partant de la garde de la lame. Quant à la seconde, elle est généralement anthropomorphe - bien que toujours dépourvue de tête - les bras dressé vers le ciel, en position de réceptivité. Ce couple divin primitif - l'un offrant la pluie et fertilisant ainsi l'autre - est attesté dans un grand nombre de civilisations du bassin méditerranéen : en Anatolie, en Crète, mais aussi, plus loin vers l'est, en Mésopotamie.

D'autres signes récurrents, comme les réticulés (damiers représentant les champs cultivés), les corniformes (têtes affublées de cornes, figurant le bétail) ou encore les hallebardes, viennent compléter un univers symbolique où la récolte et le bétail tiennent une place capitale. Selon M. de Lumley, les inscriptions du mont Bego sont autant d'adresses au couple divin, implorant la venue de la pluie, l'abondance des récoltes et du bétail.

Sans être « rédigées », à proprement parler, ces invocations témoignent de l'utilisation d'un système idéographique primitif qui a connu de légères évolutions stylistiques avec le temps. Ces changements de graphie sont d'ailleurs le seul moyen de dater, avec plus ou moins de précision, les gravures identifiées. Ainsi, en comparant la forme des poignards et des hallebardes représentés sur la pierre aux armes exhumées de sites archéologiques bien datés, il est possible d'estimer l'âge des gravures.

Les plus anciennes semblent remonter à 3300 avant J.-C., c'est-à-dire à l'époque qui voit l'invention de l'écriture cunéiforme à Sumer, dans le sud de la Mésopotamie. Une unité iconographique demeure - en dépit des évolutions - jusque vers 1800 avant notre ère. Soit quinze siècle d'une certaine « continuité » culturelle, où des rites religieux semblables avaient cours.

« Lire » les glyphes du Bego demeure délicat. Il faut, plutôt, parler d'interprétation. Celles-ci sont propices aux querelles d'experts. Telle celle qui oppose l'équipe d'Henry de Lumley à l'épigraphiste Emilia Masson, qui distingue un chemin processionnel traversant ce sanctuaire, qu'elle considère comme « un berceau de la pensée religieuse européenne » ( Le Monde du 19 février 2000).

Pour tenter de faire la lumière sur les nombreuses zones d'ombre qui demeurent, l'un des projets en cours consiste à dresser un inventaire exhaustif des 100 000 gravures identifiées, d'en relever la position exacte, la nature, l'orientation, l'âge, etc. Ce travail de fourmi, financé par le conseil général des Alpes-Maritimes, permettra d'accumuler de grandes quantités d'informations : « Une fois ces données acquises, le but est de rechercher la récurrence de certaines associations de signes », dit M. de Lumley. La situation géographique précise des inscriptions, associée aux autres critères relevés, pourrait, aussi, permettre d'en percer la logique.


Mis en ligne le 01/08/2008 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com