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Plus que jamais chaque territoire est amené à penser son devenir pour agir sans subir ! La complexité des enjeux locaux s’est accrue avec les crises écologique, sociale et démocratique. La résilience des territoires dans toutes leurs diversités et spécificités (rurale, suburbaine, urbaine, à forte ou faible densité, confrontés à l’exiguïté de leurs espaces ou à leur immensité) passe par la mobilisation et l’imagination de tous. Dans ce contexte et pour répondre aux préoccupations citoyennes des habitant·es, des familles et des jeunes, les territoires et leurs élu·es, gagnent à « développer leur propre capacité d’agir ». « Aide-toi et le ciel t’aidera » devient un impératif local ! Malgré le climat anxiogène de la période actuelle, les territoires ne sont pas dépourvus dès lors qu’ils sont en capacité de développer les capacités d’agir de leurs acteurs et à promouvoir la coopération et l’intelligence collective. C’est l’enjeu du développement local qui mise sur l’articulation des politiques publiques et des initiatives issues des territoires et sur la mobilisation et coopération de tous les acteurs. C’est la raison d’être de l’Unadel qui invite à penser le territoire comme un « bien commun »·1. C’est ce qui nous a conduit, pour les Écoutes territoriales 2021-2022, à aller observer comment concrètement se traduisait la coopération entre initiatives locales et politiques publiques sur un panel de territoires et comment les enjeux de transition amenaient une réflexion plus large sur la gouvernance et la démocratie locale. Les équipes de l’Unadel sont ainsi allées à la rencontre de 9 territoires volontaires pour identifier et comprendre les dynamiques à l’oeuvre, en écoutant activement quelques-uns des acteurs les plus impliqués dans chaque territoire (élu·es, agents de développement, responsables et membres d’associations ou d’entreprises, habitant·es…). Sans jugement. Sans conseils. Sans préjugés. Sans exhaustivité mais avec subjectivité. Ces Écoutes pratiquées en binôme, selon une méthodologie inspirée des outils de l’éducation populaire et proche de l’enquête anthropologique, ont mobilisé 23 écoutant·es et plus de 250 personnes représentant près de 150 structures locales. Le regard extérieur porté de manière critique mais bienveillante, a fait l’objet d’une restitution écrite dans chaque territoire, enrichie par une présentation collective aux acteurs rencontrés leur permettant ainsi de prendre du recul et de questionner leurs postures et leurs pratiques. À partir des 9 monographies produites, nous avons demandé à Laurence Barthe, universitaire de l’Université Toulouse Jean Jaurès, de réaliser une « synthèse » permettant de dégager les grands enseignements de cet important travail de terrain. Enrichi, complété et amendé par les écoutant·es, par le conseil d’administration de l’Unadel, par des personnalités qualifiées et également par les référants des territoires, ce travail constitue la matière du présent document, qui rassemble les enseignements des Écoutes 2021-2022. Dans une société très fracturée, nous espérons en toute modestie que ces enseignements seront utiles et inspirants pour tous ceux qui oeuvrent à construire les transitions nécessaires pour éclairer l’avenir. En tout état de cause, ils renvoient aux fondamentaux du développement local qu’il n’est certainement pas inutile de revisiter
Les défis sociaux auxquels nous sommes confrontés ne peuvent trouver de réponse entière et pleinement satisfaisante en se limitant aux seules capacités des acteurs publics ou à celles de la société civile. L'articulation des deux mouvements semble à la fois souhaitable et nécessaire au déploiement des transitions dans les territoires.
La crise sanitaire a mis en lumière la question de la préparation des collectivités et structures territoriales à la gestion des risques dans un contexte de plus en plus volatile, incertain, complexe et ambigu, et sur fond d'effondrement de la biodiversité et de changement climatique. Elle vient aussi interroger le sens même de l'action quotidienne des acteurs des territoires, leurs capacités d'adaptation, de coopération et d'innovation, tout en révélant souvent la contribution de nombreuses initiatives citoyennes solidaires et l'intérêt pour les collectivités, de s'appuyer sur elles.
Comment se redéfinissent et se renouvellent les relations entre initiatives citoyennes et action publique?
- Comment les initiatives citoyennes sont des espaces où se fabrique de l'action publique?
- Comment la mobilisation de la société civile locale et son articulation avec la puissance publique permet d'accélérer la transition ?
Ce rapport restitue les "Écoutes territoriales" réalisées par l'Unadel en 2021 et 2022 et portant sur les relations entre initiatives de la société civile et les collectivités locales dans le contexte de la transition écologique et sociale. Il contient les enseignements tirés des 9 territoires explorés par ce dispositif d'éducation populaire et des échanges avec les femmes et les hommes acteurs de leur territoire.
Le constat d’un engagement marqué des acteurs publics ne doit pas masquer un certain nombre de faiblesses ou de difficultés ressenties.
Les effets des orientations de politiques globales
Si la volonté de faire est présente, elle s’exprime souvent dans un sentiment de manque ou de faiblesse d’un accompagnement global, stratégique sur la saisie des enjeux en cours. Le manque de temps nécessaire à l’appropriation et à "la digestion" des dernières réformes territoriales (Mauges Communauté) ou les modifications des cadres réglementaires, perçues souvent comme un imbroglio, un corset diluant le sens de l’action menée. Par exemple, la mise en place des CRTE appuyés sur une contractualisation intercommunale, a pu brouiller le cadre du projet territorial porté par les territoires de projet - dans le Canigó par exemple - et parfois constituer un cadre paralysant la capacité d’initiative. Ce sont souvent des acteurs publics déboussolés qui s’expriment, pointent des situations d’inégalités dans l’engagement, faute d’accompagnement, de stabilité dans les appuis et dans les orientations des politiques publiques globales.
La difficulté de partager la vision et à la faire valoir
Ils peinent parfois à faire connaître, à partager leurs initiatives à l’intérieur de leur territoire. Les énergies peuvent s’enfermer dans le cercle des acteurs initiés. Et il convient de souligner que l’engagement public ne concerne pas tous les acteurs : les cercles de mobilisation s’appuient sur des noyaux durs qui ne doivent pas masquer des niveaux d’engagement différenciés, avec des postures allant de l’observation à l’attentisme, voire de l’ignorance au regard des enjeux et initiatives liées aux transitions.
L’hyper-polarisation de l’action publique
Une autre dérive pointe aussi dans les territoires, celle d’une action publique hyper-polarisée et institutionnalisée avec des effets d’entre-soi, avec un fonctionnement exigeant, nécessitant des acteurs informés et initiés et créant une sorte de "bulle de gouvernance" politique et technique, au risque de se couper d’une certaine réalité et des préoccupations des autres acteurs des territoires. La question du rapport à la proximité, du lien entre les élus avec les habitants, et de leur place dans l’action locale interpelle l’action de fond des acteurs publics.
Le développement local est fait de diversité dans les périmètres d’action et leurs emboîtements, la réalité des dynamiques des territoires, les formats de mobilisation d’acteurs, les cadres de portage de projet ou la nature des expériences mises en place. La mobilisation comme l’action locale ne se décrète pas, elles se vivent, se construisent à partir de la création toujours incertaine d’une culture, d’une démarche de changement.
Les 9 territoires écoutés confirment cette réalité. Tout d’abord en termes d’antériorité des formes de mobilisation locale : • La Biovallée et les Mauges (Mauges Communauté) s’inscrivent dans la tradition des mobilisations du développement local apparue dans les années 70 impulsée par un fort désir d’agir d’acteurs locaux aux profils divers et appuyés par les politiques publiques nationales de l’époque (contrats de pays par exemple).
Cette antériorité du processus de développement local et sa capacité à se renouveler font parfois de ces territoires des “étendards” du développement local, certes reconnus localement mais surtout à l’échelle nationale voire au-delà. Cela peut créer une certaine pression locale et des obligations de résultat.
Le syndicat mixte du massif du Canigó, les Pays des Châteaux, de Thiérache et Portes de Gascogne, Castelmaurou et Migné-Auxances se sont plutôt organisés ou mobilisés au fil de la saisie locale d’enjeux environnementaux, touristiques, de renouvellement démographique…, de l’évolution des dispositifs publics nationaux en faveur des territoires (lois sur l’intercommunalité, programmes LEADER et politique des pays dans les années 90, Pacte Etat-Territoire…) ou même des politiques régionales (Grand Projet Rhône Alpes, Loire à Vélo…).
La diversité se retrouve ensuite dans la réalité des dynamiques démographiques, sociales, économiques, environnementales, d’engagements : il n’y a pas de situation unique, uniforme. Tantôt des logiques d’attractivité résidentielle, touristique (Canigó, Biovallée, Pays Portes de Gascogne, Mauges Communauté), tantôt des situations de mutation de leur base de développement (territoire de la vallée du Lot et des Bastides, Pays de Thiérache), les deux pouvant d’ailleurs très bien se côtoyer sur un même territoire (Pays des Châteaux) ; tantôt une proximité forte à la ville (Castelmaurou, Migné-Auxances), voire à une métropole, tantôt une situation de faible (Pays des portes de Gascogne), voire très faible densité… les 9 territoires sont emblématiques de la diversité des dynamiques territoriales françaises étudiées par ailleurs par différents prismes (cf. travaux sur les catégorisations territoriales, travaux de l’ANCT sur les dynamiques territoriales en France·2) et ces situations ne sont en rien stygmatisantes ou indépassables : chaque territoire agit en conscience de ses dynamiques, de ses fragilités, les travaille, essaie de les réguler ou de les valoriser. En termes de périmètres, échelles d’actions, de portage des initiatives : Les territoires de projet, rassemblant un nombre important de communes et d’intercommunalités, d’acteurs issus de différents univers professionnels, associati fs, correspondant à un terri toire faisant sens d’un point de vue de dynamiques structurantes sur le plan démographique, culturel, social, environnemental ou de positionnement géographique, constituent encore aujourd’hui un cadre privilégié pour construire, animer, porter un projet de développement territorial.
Ces territoires sont portés par des gouvernances variées et des modes d’animation des démarches participatives hétérogènes. Les 9 Écoutes montrent aussi l’importance d’autres échelles, communales (Migné-Auxances, Castelmaurou) ou intercommunales (Mauges Communauté) voire non institutionnelles (bassins de vie, de mobilisation et d’action de collectifs citoyens qui oscillent entre plusieurs périmètres institutionnels) pour produire une dynamique territoriale porteuse de sens. Le périmètre territorial de référence qui permet de situer actions et projets est variable. Ces périmètres sont également poreux et tous confrontés à l’ardente nécessité de savoir combiner l’action à différentes échelles, de manière formelle mais aussi informelle, sans réelle maîtrise sur l’attachement affectif des habitants aux territoires. Rien ne se joue jamais à une seule échelle, tout se construit dans la circulation, dans la capacité d’échanges et de négociations parfois âpres entre échelles à l’intérieur d’un territoire et à l’extérieur via le positionnement dans le fameux mille-feuille territorial (cf travaux de Martin Vanier sur l’interterritorialité·3).
Voir cette vidéo de YouTube Agora des savoirs: Bruno Latour, "Où atterrir ? Comment s’orienter en politique"
et la démarche des nouveaux cahiers de doléances qui en découle: la Fabrtique des terriens
Des logiques d’engagement ascendant multiples : à des degrés divers, on constate dans chacun des 9 territoires écoutés, une vigueur démocratique qui s’exprime dans le temps et à différentes échelles. Qu’il s’agisse d’actions portées par des structures de gestion locale (communes, intercommunalités, syndicats mixtes) ou par des associations, regroupements de citoyen·nes, les initiatives pour agir sur une réalité locale sont nombreuses. Elles co-habitent ou co-existent sans que parfois les logiques d’interconnaissance soient fortes, donnant aussi l’impression d’un certain foisonnement, mais aussi d’un éparpillement d’initiatives centrées sur elles-mêmes, ignorant souvent les démarches des autres, fussent-elles convergentes. Si tous les territoires révèlent des logiques d’engagements et de projets, tous expriment de manière plus ou moins forte des doutes, des questionnements quant à la manière de renouveler, dynamiser, élargir ces engagements à la fois dans le territoire et dans le temps. Chaque territoire avec son système d’acteurs, sa trajectoire de développement, est confronté à l’ardente nécessité de l’attention portée à ses collectifs et à l’énergie, l’étincelle aussi qui les fait vivre, les motive. Cela impose, en dehors du travail déjà très mobilisateur de portage des projets, un autre travail de réflexivité et de suivi de sa propre démarche afin de maintenir les collectifs·
Si la question des transitions peut apparaître aujourd’hui floue, conceptuelle ou médiatique, déclinable de différentes manières, les acteurs rencontrés dans les territoires identifient souvent de façon concrète des domaines d’action : protection et renouvellement des ressources (comme l’eau, la biodiversité), économies d’énergies et production d’énergies renouvelables, recyclage des matériaux, attention aux personnes vulnérables, place des jeunes, alimentation locale, mobilités, nouvelles formes de rétribution des personnes et du milieu, droits culturels….sont autant de chantiers investis. Les interpellations ou les fabriques de solutions sont multiples sur ces différents sujets et montrent une prise de conscience plus forte. Toutefois, une grosse difficulté semble partout exprimée : celle de conjuguer, rassembler ces actions dans le cadre d’un projet global, fédérateur porteur de sens, d’intérêt général audelà des micro-intérêts définis, pratiqués dans la mosaïque des initiatives locales. Faut-il construire un sens commun ou créer de la médiation entre des intérêts variés ? Quels peuvent être les leit-motivs, les référentiels rassembleurs de ces projets, quelles sont les finalités effectivement recherchées
Mis à jour le 29/11/2022 pratclif.com