Le Monde 9 février 2010

Mangeurs d'espace

QUAND il évoque le prix des terres qui flambent, Denis Gaborieau s'emmêle parfois entre les anciens francs, les francs lourds et les euros. Mais, une fois les monnaies remises en bon ordre, le raisonnement devient implacable. Le porte-parole de la Confédération paysanne en Vendée possède un élevage bio à Saint-Philbert-de-Bouaine, une commune tombée dans l'orbite de l'agglomération nantaise, situé à 25 kilomètres. Un mètre carré de terre agricole y vaut 20 centimes d'euro, mais un mètre carré viabilisé atteint 80 euros.

Dès lors, la tentation est grande pour les agriculteurs des environs de préférer vendre du terrain à bâtir. En ces temps de crise laitière, c'est parfois une obligation. Pour payer un crédit ou bonifier une retraite. " Des exploitations vivent de la vente du foncier ", constate M. Gaborieau. Partout dans les environs, des lotissements ne cessent de pousser, grignotant les champs un à un.

" Pour le bien-être, on construit des maisons avec dix mètres de chaque côté ", regrette le syndicaliste. Selon l'Insee, la surface moyenne d'une maison individuelle à la campagne avoisine 1 000 mètres carrés dans la région.

Et il y a bien d'autres " mangeurs d'espace ", selon M. Gaborieau : les zones artisanales " dont les plans d'urbanisme exigent qu'elles soient agrémentées d'espaces paysagers " ou les infrastructures routières.

Combat perdu

Quant à la côte atlantique, c'est déjà un combat perdu face au bétonnage de l'immobilier de loisir. Voilà plusieurs années que M. Gaborieau tire la sonnette d'alarme sur ce " conflit d'intérêt " patrimonial entre agriculteurs et citadins.

Il n'est pas le seul à s'inquiéter. Plus de 9 000 hectares de terres agricoles sont " artificialisées " chaque année, dans les Pays de la Loire. Dynamique, la région a gagné près de 250 000 habitants depuis le recensement de 1999.

La Loire-Atlantique est particulièrement exposée. " On a pourtant besoin de surface pour produire des denrées alimentaires ", fait remarquer Jean-François Cesbron, vice-président de la Chambre régionale d'agriculture.

Le prix des terres agricoles ne cesse d'augmenter, par ricochet de cette pression foncière, et entrave l'installation de jeunes exploitants, que souhaite pourtant promouvoir la Chambre.

Qui plus est, la recherche d'une alimentation de qualité, d'" élevé en plein air ", demandé par les consommateurs, requiert de l'espace. A Loué (Sarthe), selon le cahier des charges, un poulet labellisé dispose de 10 mètres carrés minimum quand, dans les élevages intensifs du Brésil ou d'ailleurs, il est cantonné sur l'équivalent d'une feuille A4. " On doit produire plus et mieux sur moins de surface ", constate Hubert Garaud, président de la coopérative Terrena. La quadrature de l'agriculteur.

Benoît Hopquin