Malpasset 1/12/1959- 1/12/2009
témoignage de Gérard Ferro le fils du gardien du barrage
Fréjus sous les eaux du barrage ; la Vallée Rose dévastée :

En pleine soirée, la piste aux étoiles de Zavatta s'interrompt brusquement à la télévision. Plusieurs vagues déferleront dont une de 40 mètres de haut rasant tout sur son passage dans la Vallée, en aval de Malpasset jusqu'à la mer. La ville de Fréjus est dévastée …

Au début de l'hiver 1959, les pluies torrentielles vinrent remplir pour la première fois le nouveau barrage de Malpasset, en amont de Fréjus, dans le sud de la France. Lorsque celui-ci céda soudainement, le 2 décembre 1959 à 21h13 près de 50 millions de mètres cubes d'eau déferlèrent, ravageant campagnes et villages jusqu'à la mer. Jamais une telle catastrophe n'avait touché la France.

" De tous les ouvrages construits de main d'homme, les barrages sont les plus meurtriers ".

Ces mots sont ceux du constructeur du barrage de Malpasset, l'ingénieur André Coyne alors président de l'Association internationale des grands barrages et spécialiste incontesté de la construction des barrages-voûtes. Il décéda 6 mois après la catastrophe dans un immense chagrin. Quelques temps après, l'entrepreneur en gros œuvre principal se donna la mort au volant de sa voiture sur l'autoroute Esterel Côte d'Azur …

Un barrage pour l'Est Var

La construction d'un barrage dans la région de Fréjus est envisagée juste après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre des grands projets d'équipements du pays. Son principal objet est de constituer un réservoir d'eau permettant d'irriguer les cultures dans une région où les pluies sont très irrégulières. Le conseil général du Var, maître d'ouvrage de l'opération, reçoit une importante subvention du ministère de l'Agriculture. Il fait alors appel au grand spécialiste des barrages-voûtes, André Coyne, " auteur " du barrage de Tignes par exemple. Le site choisi est celui de la vallée du Reyran, une rivière au régime torrentiel, sèche en surface en été et en crue l'hiver, au lieu-dit " Malpasset ", un nom qui perpétue le souvenir d'un brigand détrousseur de diligences, le lieu étant le plus étroit de la Vallée, idéalement placé pour un barrage voûte.

L'inauguration et la mise en eau partielle du barrage eurent lieu en 1954. Mais la faiblesse des pluies les années suivantes d'une part, et une longue procédure judiciaire avec un entrepreneur qui refusait d'être exproprié d'autre part, ralentirent singulièrement la phase de remplissage complet du barrage. En 1959, la Côte d'Azur connut des pluies diluviennes, le niveau de l'eau monta très rapidement - trop rapidement pour permettre un contrôle convenable des réactions du barrage. D'autant qu'il paraissait impossible à ce moment, de lâcher de grandes quantités d'eaux, compte tenu de la construction du pont de l'autoroute enjambant le Reyran un kilomètre en aval du barrage.

Ordre fut donné de ne pas ouvrir la vanne afin de ne pas détériorer les piles du pont et l'ouvrage dans son ensemble récemment coulé et non protégé à ses bases. Le 2 décembre à 18 heures, la capacité maximale du barrage étant atteinte, les responsables du barrage décident malgré tout d'ouvrir la vanne papillon donnant un débit de 60 m3/seconde.

Trois vagues dont une de 40 mètres

Le barrage était donc rempli à ras bord lorsqu'il céda à 21 h 13 exactement. Le bruit du craquement de sa voûte alerta en premier lieu le gardien de l'ouvrage, qui se réfugia avec sa femme et son fils, après avoir rechapé au premier flot au sommet de la colline derrière la maison située à 2 kms et demi en aval. Bien lui en prit; une gigantesque vague de 40 mètres de haut déferla dans l'étroite vallée à la vitesse de 70 km/h. Balayant tout sur son passage, elle déboucha sur Fréjus 20 minutes plus tard, avant de se jeter dans la mer.

Le plan ORSEC fut immédiatement déclenché. Les militaires des bases locales ainsi que des hélicoptères de l'armée américaine basés dans les environs s'occupèrent de porter secours aux survivants, mais aussi de dégager les corps des victimes. Le Général de Gaulle président de la République, venu sur place quelques jours plus tard, découvrit une zone totalement sinistrée. La catastrophe avait fait 423 victimes. 2,5 kms de voies ferrées furent été arrachées, 50 fermes furent dévastées, 1000 moutons et 80 000 hectolitres de vins perdus.

Pourquoi ?

Après plusieurs années d'enquête, d'expertises et de contre expertises, deux rapports furent remis à la justice chargée de déterminer les responsabilités du drame. Ces rapports écartaient l'hypothèse d'un ébranlement dû à un séisme phénomène fréquent dans la région, ou à des explosifs utilisés pour la construction de l'autoroute. L'emplacement du barrage, en revanche, fut mis en cause. Ne disait-on pas " le Malpasset est mal placé ".

Les barrages-voûtes sont réputés pour leur exceptionnelle solidité, la poussée de l'eau ne faisant que renforcer leur résistance. Malgré la très faible épaisseur du barrage de Malpasset : 6,78 m à la base et 1,50 m à la crête, ce qui en faisait le barrage le plus mince d'Europe, la voûte elle-même fut entièrement mise hors de cause. Mais ce type d'ouvrage doit s'ancrer solidement dans le rocher, ce qui n'était apparemment pas le cas à Malpasset. Certes, la roche quoique de qualité médiocre, était suffisamment solide en théorie, pour résister à la poussée. Mais une série de failles sous le côté gauche du barrage, " ni décelées, ni soupçonnées " pendant les travaux de prospection selon le rapport des experts, faisait qu'à cet endroit la voûte ne s'ancrait pas dans une roche homogène.

La présence d'un minéral en fine strate, la séricite, qui prendra plus communément le nom de malpassite a certainement amplifiée le phénomène de venue d'eau interstitielle. Celui-ci est particulièrement sensible au contact de l'eau, la roche se dénature et agit comme une savonnette ce qui a value aux roches support de la culée gauche de ripper sur elles-mêmes lors de la poussée sous-jacente des eaux.

Le 2 décembre 1959, le rocher situé sous la rive gauche a littéralement " sauté comme un bouchon ", et le barrage s'est ouvert comme une porte …

Des travaux supplémentaires impliquant des délais et des coûts accrus, auraient-ils permis d'éviter la catastrophe ? A-t-on pêché par hâte ou imprudence ? Ce ne fut pas l'avis de la Cour de cassation; dans son jugement de 1967 la Cour déclara qu'aucune faute, à aucun stade, n'avait été commise. La catastrophe de Malpasset est ainsi rangée sous le signe de la fatalité.

Pourtant la main de l'homme a largement contribué à changer la destinée de ce bel ouvrage qu'était Malpasset.

Lors de la réalisation des travaux de terrassement de l'autoroute A8, les matériaux étaient tellement durs que les entreprises ont eu recours à l'emploi de grandes quantités d'explosifs. Les engins de terrassement ne pouvaient pas progresser par leurs seuls moyens ; c'est pourquoi d'importants dynamitages furent mis en œuvre et sous traités à des entreprises polonaises.

Comment peut-on imaginer que des tirs de mines massifs instantanés, sans détonateurs à micro retard, n'ébranlent pas l'ancrage déjà sensible du barrage situé à moins de 450 mètres des travaux en cours sur l'autoroute.

Quelles étaient les règles applicables sur les tirs de mines en présence d'un ouvrage à cette époque ? Toujours est-il, après la catastrophe la réglementation sur les travaux et les tirs de mines en présence d'ouvrage d'art a évolué radicalement. Gérard vous ne pouvez pas écrire ceci sans préciser

Des frémissements, aux fortes ondulations de l'eau à la surface du lac …

Le gardien du barrage inspectant le lac et l'ouvrage pendant ses tournées habituelles au moyen d'un " pointu " avait ressenti de nombreuses secousses dû aux tirs de mines qui provoquaient des mouvements d'amplitude plus ou moins forte à la surface de l'eau. Aux signalements de ces anomalies suivit l'annonce de phénomènes de remous constatés, puis de petites infiltrations d'eau …

Des réunions techniques ont bien été provoquées mais le mal était fait, le barrage avait déjà " parlé ".

Quelques temps auparavant, des mesures avaient été réalisées par les bureaux de contrôles pour vérifier les écarts de déformation. Les résultats n'ont pas eu le temps d'être analysés, il était déjà trop tard, le mécanisme destructeur était inexorablement en marche.

Fatalité ou accumulation d'anomalies ?

En complément de certains faits glanés au gré des interviews et rapportés par de nombreux écrivains depuis la tragédie, il peut être ajouté à présent qu'il n'y a pas vraiment de place pour la seule fatalité …

Les catastrophes ne sont jamais dues la plupart du temps à une seule et même raison, mais à un enchaînement de causes, d'erreurs et d'anomalies.

Malpasset n'a pas échappé à ces phénomènes auquel l'on a rajouté la fatalité.

Certains propos et détails évoqués dans ce texte sont méconnus du public et n'ont été que très rarement évoqués après la catastrophe. Pour ma part, je les ai entendu des dizaines de fois venant de mon père et de quelques sachants…

Gérard Ferro,
fils du gardien à la mémoire de son père


extrait du document de Vito Valenti et Alfred Bertini: "Barrage de Malpasset de la conception à la rupture" hors série N°3 de la société d'histoire de Frèjus et de sa région.

Un homme s'est trouvé en toute première ligne de cette catastrophe. Il s'agit d'André Ferro, le gardien du barrage de Malpasset. Sa maison se situait à 2 km et demi en aval. Ce soir-là, le 2 décembre 1959 à 20 h.50. il vient de rentrer d'une tournée d'inspection au barrage. Tout semble normal. Habituellement il va contrôler le niveau du lac trois fois par jour. Il veille à ce que la côte 95 ne soit pas dépassée. Il y a deux jours la côte a déjà atteint le niveau 98 du fait des fortes précipitations qui s'abattent sur la région depuis une quinzaine de jours. Jamais le lac, long de 18 km, large de 3 km par endroits, n'a été aussi plein. Dans ce cas il téléphone au Génie Rural de Toulon qui lui donne le feu vert pour "faire un lâchure". Il ouvre la vanne du déversoir au pied de l'édifice qui mesure 60 m. de haut. 90 mètres cube d'eau par seconde s'échappent du barrage. Dans 3 heures ce seront 300.000 mètres cube qui auront dévalé les pentes du Reyran. Le niveau du lac n'aura baissé que de 3 cm. Mais ce 2 décembre il sait que le barrage est plein jusqu'au débordement malgré la vanne du déversoir ouverte au maximum. Il est inquiet. Il s' apprète à remonter au barrage pour s'assurer que tout est normal. Il est 21 h.13...

C'est à ce moment qu'il entend "comme une sorte de grognement d'animal", un craquement sinistre. Le sol vibre sous lui. Tout de suite, le gardien comprend. Il crie : "Le barrage ! Vite! Tout va s'écrouler ! " Saisissant son petit garçon déjà couché, il s'élance suivi de sa femme vers le haut de la colline.


Mis en ligne le 18/03/2009 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com