DU DESIR DE BIEN-ÊTRE URBAIN A LA MESURE DE LA QUALITE DE LA VIE
PEUT-ON ÉVALUER LE «BONHEUR TERRITORIAL» ?

Réflexions sur la notion de "qualité de vie" par la FNAU Fédération nationale des agences d'urbanisme

A l’heure de la compétition internationale et du «marketing territorial », les agences d’urbanisme ne peuvent se désintéresser d’un sujet qui conditionne la capacité des villes à attirer les entreprises et les hommes. Pourquoi et comment mesurer la qualité de la vie dans les villes françaises ?

Déjà à Marseille en 2002, la 23ème Rencontre nationale des agences d’urbanisme avait consacré ses échanges à l’image des villes et à l’attractivité des territoires. Elle a offert l’occasion d’une confrontation animée sur les «palmarès de ville» entre des journalistes impliqués dans ces exercices de classement, des universitaires soucieux d’en évaluer la pertinence méthodologique et la validité scientifique… et des élus locaux directement concernés par leurs résultats.

Afin d’aller plus loin dans cet exercice de décryptage, le Club des économistes de la FNAU a consacré en 2004 plusieurs réunions à des échanges avec des experts spécialisés dans la mesure de la qualité de la vie urbaine. Qu’en retenir ? La qualité de la vie est une notion complexe qui ne met pas seulement en jeu les caractéristiques objectives d’un territoire mais qui traduit aussi les aspirations de ceux qui y vivent ou qui souhaitent s’y installer. Deux approches différentes devraient à cet égard être menées en parallèle :

LA QUALITÉ DE LA VIE : UNE EXPRESSION COURANTE, UN CONCEPT COMPLEXE

Couramment utilisée, la notion de «qualité de vie» exprime une réalité complexe, notamment dans les villes où elle a pris depuis une vingtaine d’années une extension considérable. La constitution progressive de la civilisation urbaine a amené à réfléchir aux modes d’organisation architecturale, urbanistique ou environnementale susceptibles de garantir, de protéger et de créer les meilleures conditions d’harmonie de la vie sociale et collective. La qualité de la vie s’inscrit dans la continuité du courant hygiéniste du XIXème siècle dont un aboutissement est la stratégie de la santé pour tous portée par l’OMS. Elle est reprise de façon plus globale, en ce début de XXIème siècle, par la notion de développement durable.

Aujourd’hui, la qualité de vie est un vocable qui fait partie du langage commun. Elle est utilisée aussi bien par les associations d’habitants comme leitmotiv de la défense du cadre et des conditions de vie que par la sphère politique comme élément fédérateur de communication ou par les institutions internationales comme objectif d’action. De quoi parle-t-on à travers la «qualité de vie» urbaine : de conditions de vie comme l'OCDE (cadre de vie, modes de vie, niveau de vie,…), de l'expression d'un sentiment général de bonheur (comme l'UNESCO) ou d’un complet bien-être physique, mental et social (comme l’OMS) ? On perçoit que la notion doit être multidimensionnelle, évolutive et sans doute subjective. Des experts peuvent nous proposer une définition de la qualité de vie urbaine, mais seront-ils d'accord sur ses contours? D'autre part, les grands magazines d'informations en proposent également en publiant régulièrement un palmarès des agglomérations sur le sujet.

Cependant, que faut-il en penser quand d'une année sur l'autre une partie de la grille d'évaluation change… Sa définition ne serait-elle pas "mission impossible", condamnée à être réductrice même si l'accord est général pour considérer qu'elle doit couvrir un large spectre de thèmes ?

Dans le cadre d’une approche professionnelle de l’observation des évolutions urbaines, s’interroger sur la qualité de vie suscite instinctivement des nuances, des précautions d’usage, des limites d’appréciation.

Pourtant, l’aspiration à une meilleure qualité de vie est devenue l’un des objectifs principaux des politiques à la fois locales, régionales et nationales. La prise de conscience du caractère fondamental de cette préoccupation pour la qualité de vie devrait amener les agences d’urbanisme à accompagner le devenir des territoires dont elles assurent l’aide à la décision.

UNE DÉFINITION INDIVIDUELLE OU COLLECTIVE ?

La problématique de la qualité de vie pose certes la question des données ou des critères pertinents pour en apprécier les différentes facettes, mais il est encore plus important de pouvoir en définir un indicateur global et synthétique. La question de la définition est centrale avant de concevoir puis de bâtir des paramètres (souvent quantitatifs) d'une qualité de vie définie a priori par quelques «experts», technocrates ou universitaires, quand bien même ils sont animés de la meilleure intention.

D’une part, la qualité de vie est affaire de perceptions et résulte donc d'appréciations éminemment individuelles, personnelles.

D’autre part, la qualité de vie doit être appréhendée comme le fruit d'une culture collective, de comportements socio-historiques ou de facteurs structurels (logements, conditions de sécurité, accès aux services et moyens essentiels, etc.). Or, les collectivités humaines et leurs organisations territoriales ont suivi des itinéraires singuliers, guidées par des références spécifiques qu'elles se sont forgées en modelant en partie les aspirations individuelles et collectives qui les animent.

Si chaque personne possède sa propre définition de la qualité de vie en ville, celle-ci s'inscrit au sein d'une communauté d'habitants dont les références font repères (à des degrés divers) dans les approches individuelles. Cette dimension collective, bien présente dans la notion de qualité de vie urbaine, devrait donc s'entendre à l'échelle locale. Dès lors, pourquoi leur appliquer un même modèle d'évaluation en ignorant les aspirations, les références des communautés locales? Pourquoi définir puis mesurer (en partie) «le bonheur des gens malgré eux», c'est-à-dire sans les consulter ?

LA MESURE DE LA QUALITÉ DE LA VIE : USAGES ET MÉTHODES D’ÉVALUATION

Pourquoi, pour quoi, et pour quels acteurs, recherche t- on à tout prix à mesurer la qualité de la vie ? Les approches et les expériences sont nombreuses.

AUX ORIGINES DU CONCEPT

C’est certainement l’appropriation politique et l’institutionnalisation de la notion de la qualité de la vie qui a suscité autant de vocations. «l’entrée en politique» du concept de qualité de vie s’est effectuée à différentes échelles territoriales et sur des périodes distinctes.

A l’échelle nationale, c’est en 1971 qu’est créé le premier ministère qui introduit la notion de qualité de vie dans les politiques publiques. Cette nouveauté répond à l’ampleur croissante de la préoccupation pour l’amélioration de la qualité de vie qui s’est développée dans les années 60. Une trentaine d’années plus tard, la France dispose d’un ministère de «l’écologie et du développement durable».

Cette notion de qualité de vie a été institutionnellement imposée comme une notion fédératrice. Les institutions gouvernementales ont peu à peu remplacé cette notion de qualité de vie par des préoccupations plus globalisantes concernant l’environnement puis par la notion de «développement durable». Même si elle est intégrée aux stratégies de développement, elle demeure et reste avant tout un point fort de communication de la sphère politique. Construction européenne oblige, la qualité de la vie est un concept qu’il convenait de traiter à l’échelle de l’Europe. C’est ainsi qu’à la fin des années 90, la Commission Européenne a piloté une étude comparative concernant les plus grandes villes de l’Union, dont 8 en France (Audit urbain).

LA QUALITÉ DE LA VIE :UN CRITÈRE D’ATTRACTIVITÉ DES TERRITOIRES

A l’échelle locale, les lois de décentralisation mises en place au début des années 80, puis les diverses lois sur l’intercommunalité (en 1992 et 1999), ont donné aux collectivités locales de nouvelles prérogatives en matière d’aménagement du territoire.

Dans un contexte général de métropolisation et de marketing urbain, les villes et les territoires qu’elles animent, participent à une vaste compétition qui a généré des «actes classant». L’attractivité des territoires est au coeur de cette concurrence exacerbée.

Un responsable de la communication d’une agglomération indique que «l’attractivité est une chose qui, par nature, intéresse les élus» tout en précisant qu’il ne sait pas déterminer le dosage de la qualité de la vie dans la mesure de l’attractivité d’une ville.

«La mesure de l’attractivité est d’une grande complexité » insiste un autre responsable de communication d’agglomération en faisant référence à la grande diversité des publics concernés : habitants, visiteurs, grand public, prescripteurs économiques. Pour ces derniers, notamment les grandes firmes, les critères de qualité de la vie ne comptent pas forcément beaucoup dans les choix de localisation des entreprises. Pourtant, l’existence d’un «coefficient de sympathie» transcende les éléments les plus objectifs. Ce coefficient ne figure dans aucun palmarès car il est difficile à définir. «C’est quelque chose qui donne le goût et l’envie d’aller visiter ou de s’installer dans une ville. On sait que cela existe mais on ne sait pas le mesurer». Par exemple, Barcelone bénéficie d’un fort coefficient de sympathie. Celui-ci n’est pas lié aux fondamentaux de la ville. Il s’appuie essentiellement sur un art de vie composé de fantaisie, de capacité à créer, de désinhibition, d’ouverture sur le monde. En bref, autant d’éléments qui suscitent le désir. Il nuance ainsi le manque d’intérêt des prescripteurs économiques pour la qualité de la vie «Ce que l’on sait, c’est que pour alimenter l’attractivité d’une ville, il faut aussi promouvoir un art de vivre, une forme de vie qui contribuent au charme de la ville et on sait que le coefficient de sympathie compte dans les décisions d’investissement».

PALMARÈS ET HIT-PARADE : LA QUALITÉ DE LA VIE DANS LE «STAR SYSTEM»

Les questions d’attractivité et de concurrence entre les territoires n’ont pas échappé à la presse qui tout naturellement a lancé un genre éditorial particulier : les palmarès des villes. En l’occurrence, il s’agit d’évaluer des performances aussi diverses que la gestion municipale, la propreté, les vertus écologiques, la sexualité, le dynamisme économique, l’attractivité (réelle ou supposée) auprès des entreprises, des cadres, des patrons, des femmes. En bref, la presse magazine française s’est spécialisée dans la délimitation des «domaines d’excellence» des villes parmi lesquels figure, bien sûr, la qualité de la vie. A chaque journal son palmarès et son titre accrocheur mais pas toujours très original : «le palmarès des villes écologiques », «qualité de la vie : le palmarès des villes» (le Point), «Où vit-on le mieux» (l’Express), «Ces villes où il fait bon vivre» (le Nouvel Observateur), «Où fait-il bon vivre en France ?» (Ça m’intéresse)…

A ceux qui suspectent la presse d’abuser de ce genre éditorial à des fins mercantiles, un journaliste répond, non sans humour «ça eût vendu». Ne soyons pas dupes, la motivation est ailleurs. Comme tout le monde, les journalistes aiment classer, comparer par curiosité intellectuelle. Leurs lecteurs et, au premier chef, les élus qui suivent ces palmarès de près, les attendent avec curiosité et parfois anxiété.

Ainsi, tout le monde serait friand de ce type de classement que M.Roncayolo, dans son ouvrage «la ville et ses territoires», qualifie «d’Intervilles» en référence à un jeu télévisé des années 60 qui mettait en compétition les villes.

DÉMARCHE NORMALISÉE : AUDIT ET NOTATION

Alors que la presse s’intéresse plutôt aux «domaines d’excellence» liés à la qualité de vie offerte par les territoires, d’autres organismes se sont orientés vers l’appréciation de la performance. Il existe des démarches et initiatives privées, aujourd’hui en cours d’expérimentation, qui vont dans ce sens.

L’objet est, en l’occurrence, d’évaluer de manière objective et dans une perspective dynamique les performances de la ville en la comparant à d’autres villes en France ou à l’Etranger. Au final, il s’agit de permettre aux élus de disposer des éléments pour définir les actions de progrès à engager. Il convient non seulement de répondre à la demande des élus mais aussi à celle des acteurs économiques et des citoyens. Ici, ce qui est noté, ce ne sont pas les fondamentaux d’un territoire, «c’est ce qui dépend de l’action des hommes, ce qu’il est possible de changer par des actions de gouvernance» précise un consultant.

A l’origine, les concepteurs sont partis du constat, qu’à l’instar des entreprises, il existait un besoin pour les responsables des collectivités locales en charge de mener à bien des politiques territoriales de se faire noter, évaluer et auditer. Cette «notation » s’appuie sur un diagnostic complet à partir d’éléments quantitatifs et qualitatifs permettant de faire état de la réalité objective du territoire. Il sera complété par une analyse de la réalité perçue. Ici, les clients sont clairement ciblés : ce sont les élus. Les périmètres de la «ville» correspondent aux territoires intercommunaux «là où il y une autorité élue» et la motivation des commanditaires est explicite : «un élu fonctionne toujours sous l’oeil de ses électeurs».

LA QUALITÉ DE LA VIE: UN STANDARD ?

Jugeant que l’approche de la qualité de vie contribuait à l’enrichissement des démarches d’observation et de compréhension des territoires, l’Agence d’Urbanisme pour le Développement de l’Agglomération Lyonnaise a mis au point une méthode d’évaluation de la qualité de vie en milieu urbain. Il s’agit «d’un travail de recherche appliquée qui permet de proposer un outil opérationnel de connaissance et d’expertise des territoires». En ce sens, cette méthode d’évaluation doit permettre d’identifier, au sein de la ville de Lyon, des territoires de potentialités et de carences en fonction des représentations et des attentes de ceux qui pensent et vivent la ville. L’originalité de cette méthode tient au fait que son système de mesure est principalement basé sur la prise en considération des jugements de valeur et des représentations des acteurs urbains. Ce sont ces derniers qui ont déterminé euxmêmes les critères qui leur semblent importants à prendre en compte pour évaluer la qualité de la vie. Au final, en proposant une restitution cartographique, la démarche n’a pas d’autre ambition que de fournir une «image» de la qualité de vie et d’en analyser les disparités spatiales. Elle contribue à une meilleure appréhension des clefs de l’attractivité et de la valorisation territoriale. Enfin, elle met à disposition un outil de veille et d’analyse facilitant la compréhension et la gestion des territoires. Aussi, cette approche donne toute sa réalité à la volonté de gérer la proximité et d’intégrer les processus d’aménagement aux principes de concertation. Au regard des expériences et des démarches évoquées, il apparaît clairement que la qualité de vie et sa déclinaison innovante -le développement durable- constituent des enjeux fondamentaux pour la gestion des territoires. Pour autant, leur prise en compte dans les politiques publiques et dans les stratégies de communication doivent-elles se faire par le filtre de «l’acte classant» ? La qualité de la vie n’est sans doute pas un standard.

LA QUALITÉ DE VIE: UNE DÉMARCHE DE QUALITÉ

Depuis 2002, la France est dotée d’un ministère de «l’écologie et du développement durable». L’appellation «développement durable» est un signe émis par l’Etat pour que l’ensemble des dysfonctionnements sociaux et environnementaux de la ville soient pris en compte dans les politiques publiques. La notion de développement durable se démarque de celle de la qualité de vie sur deux points. En premier lieu, elle provoque un changement d’échelle. Elle ne se limite pas au territoire vécu mais s’intègre dans une problématique planétaire. En second lieu, elle se préoccupe du futur de la qualité de la vie en se projetant à des horizons lointains souvent négligés aussi bien par les élus que par les citoyens. Par ailleurs, elle prône la gouvernance comme mode opérationnel, les populations devant elles-mêmes définir leurs besoins.

Un chercheur envisage le développement durable comme «une perspective globale d’amélioration de la qualité de la vie». Sa démarche est centrée sur la mise au point d’un référentiel d’objectifs et la mise en place d’une démarche stratégique pour l’évaluation des territoires et des politiques publiques. En ce sens, il admet que «la mesure est un exercice difficile. L’observation et l’évaluation ne sont pas neutres, c’est un véritable travail politique». Les référentiels d’objectifs proposés sont naturellement à forte connotation «durable» : utilisation économe du territoire, santé publique, diversité de l’occupation des territoires etc. Lorsqu’il évoque le travail d’observation visant à quantifier et qualifier, il ajoute cependant «l’essentiel que l’on veut quantifier n’est qu’un résidu de la vie». Nous voilà avertis…

PEUT-ON ET DOIT-ON (ENCORE) MESURER LA QUALITÉ DE LA VIE ?

«On ne peut pas mettre le bonheur en équation !» témoigne un journaliste. En effet, la mesure de la qualité de la vie souffre de deux problèmes aigus : l’exercice est «scientifiquement » contestable et ses résultats sont souvent discutables. Elle soulève de nombreuses questions : collecte et traitement des données, niveaux d’agrégation spatiale, choix d’échantillons, mesures et interprétation…

Les palmarès aboutissent rarement aux mêmes résultats. La fiabilité des sources en serait la cause principale. Les questionnaires envoyés aux collectivités locales sont remplis de manière plus ou moins sérieuse et les retours sont partiels. Les données sont difficiles à collecter, ne sont pas livrées à la bonne échelle et ne sont pas toujours fiables. A titre d’exemple, citons le très répandu critère de «pourcentage des espaces verts». Une fois aguerris à l’exercice, certains services de communication font preuve de perspicacité pour améliorer leur position. Il suffit d’intégrer les cimetières pour que la part des espaces verts augmente de manière sensible et, en définitive, fasse gagner quelques places au «hit parade». «Aujourd’hui, on connaît les limites de l’exercice et on essaie de les surmonter» affirme un journaliste qui souligne les efforts de sa profession pour compléter l’analyse des données par une bonne connaissance des territoires.

Pour ce qui concerne l’audit urbain européen (2000 et 2004), la recherche d’un référentiel commun aux pays concernés a été une entreprise longue et difficile «il a fallu faire beaucoup d’impasses», reconnaît un statisticien de l’INSEE. Malgré la qualité du travail fourni et les efforts consentis pour harmoniser autant que faire se peut des données (chaque pays dispose de son propre système de production de statistiques), il exprime son inquiétude sur l’utilisation comparative de l’audit urbain.

La délicate question de l’agrégation spatiale des données, en d’autres termes du choix des périmètres de référence, a révélé la diversité des opinions en la matière. Certains défendent les vertus de l’aire urbaine malgré le constat d’un choix «difficile et qui peut induire certains biais», d’autres retiennent les périmètres institutionnels comme périmètres pertinents pour mesurer la performance des territoires. D’autres encore présentent leurs principaux résultats à l’échelle des villes, au sens agglomération. En tout état de cause, l’approche comparative est très sophistiquée mais pas forcément possible ou pas toujours simple à interpréter.

En bref, l’exercice de mesure et de comparaison de la qualité de vie n’est pas chose facile et il amène naturellement à se poser des questions sur l’interprétation des résultats et leurs impacts.

L’émergence des études et des palmarès autour des thématiques relatives à la qualité de vie et au bien-être rend compte de l’affirmation de nouvelles valeurs dans la représentation des territoires. Probablement, la représentation de la «qualité de ville» dans les médias est celle qui nécessite le plus d’attention : non pas parce que la presse généraliste soit forcément la plus critiquable dans ce domaine, mais tout simplement -reconnaissons le- parce que c’est elle qui a le plus d’échos. En effet, plus que toute autre étude comparative, c’est surtout les palmarès des villes édités par la presse qui contribuent le plus activement à l’apologie ou la stigmatisation des territoires. «Ville classée, ville cassée» titrait «Libération» qui consacrait un article aux palmarès des villes. La presse est critique et reconnaît avoir joué le rôle de «marqueur de la ville».

Ville classée, ville cassée, projet brisé ? En reprenant et en complétant le titre de «Libération», il y aurait des effets pervers à ce que produisent ces palmarès en annihilant les efforts réalisés par un territoire pour améliorer sa qualité de vie.

En matière de mesure de la qualité de la vie, la presse magazine n’a pas le monopole des «dommages collatéraux» causés sur les territoires. Toutefois, la stigmatisation des territoires ne doit pas se transformer en excès déontologique provoquant le rejet des représentations des territoires sur la qualité de la vie.

LA "QUALITÉ DE VIE URBAINE" : UN CHAMP INVESTI PAR LES AGENCES D’URBANISME

Si l'approche comparative des différentes agglomérations à partir d'une grille imposée unique peut être critiquable, l’exercice est nécessaire. Sur le plan méthodologique, la qualité de vie urbaine pourrait faire l'objet de deux approches bien distinctes pour sa définition et son appréciation : L'une, concernant les résidants de chaque agglomération, ferait apparaître l'éventuelle singularité des éléments constitutifs de la qualité de vie urbaine ainsi que le jugement qu'ils portent sur elle. Le parti pris adopté ici est celui de la proximité et de la démarche ascendante.

La comparaison entre agglomérations n'aurait de sens que pour confronter le rang des priorités de leurs habitants respectifs. Elle prendrait acte également de définitions différentes de la "qualité de vie urbaine" et se bornerait à les constater : la propreté urbaine et la sécurité sont des thèmes essentiels ici, la vitalité de la vie nocturne ou la qualité du logement plus importants là,…

Enfin, il est évident qu'une comparaison entre agglomérations sur d'éventuels thèmes communs (plébiscités par leurs habitants) n'a guère de sens à la première enquête, car on mêlerait jugement sur le fond et postures culturelles (la proportion d'habitants défendant leur ville devant un tiers -l'enquêteur- étant variable d'une agglomération à l'autre). En revanche, il sera possible grâce à une seconde vague d'enquêtes d'apprécier et de comparer entre agglomérations les éventuelles variations de jugements.

L'autre, concernant les non-résidants, viserait à identifier le jugement qu'ils pourraient porter sur les agglomérations qu'ils seraient susceptibles d'habiter. La population visée est plutôt celle des cadres, parce que plus mobiles que les autres catégories de la population. Cette population, confrontée à différents contextes urbains, ayant également leurs propres aspirations liées à leur éducation, leurs normes de différentiation et de valorisation, se prête plus facilement à la définition d'une qualité de vie urbaine, qui n'a rien de «standard».

Cette lecture particulière peut rendre flatteuse ou au contraire stigmatisante la situation de telle ou telle agglomération, la grille commune se prêtant aisément à la constitution d'un classement. Les publications magazines trouvent néanmoins ici, pour cette sous-population bien identifiée, une certaine justification. Reste à définir la «bonne» grille. Une solution consisterait à enquêter directement auprès d'eux pour appréhender leur propre vision de la qualité de vie urbaine et pour cerner les indicateurs susceptibles de la mesurer. Cette grille ainsi constituée serait ensuite appliquée aux différentes agglomérations qui accepteraient de se prêter au jeu d'une évaluation "exogène" dont les critères pourraient éventuellement étonner leurs habitants ou/et leurs élus.

LES PISTES D’INVESTIGATION OU LA QUÊTE DU BIEN-ÊTRE URBAIN

La diversité des organismes qui se sont penchés sur la question de la mesure de la qualité de vie, y compris dans le domaine économique notamment avec A. Sen (prix Nobel 1998 et «inventeur» de l’indice de développement humain), révèle l’importance qu’occupe aujourd’hui la problématique de la qualité de vie dans notre société.

On en connaît par ailleurs les difficultés méthodologiques qui montrent que le champ n’est pas épuisé. Sans doute, un renouvellement des pratiques d’observation est nécessaire pour libérer les approches thématiques (habitat, économie,…) et «transcender les schémas d’observation». Ce n’est qu’au prix de la mise en place d’une approche transversale de l’observation que les protagonistes seront en capacité d’investir le champ de la qualité de vie.

S'il appartient à chaque territoire de définir lui-même ses propres critères, les agences d’urbanisme peuvent tirer parti de leur fonctionnement en réseau. Une piste intéressante serait d’appréhender avec sérieux la notion de «coefficient de sympathie» de villes. Le concept de qualité de vie reste encore largement à explorer. En matière urbaine il est appréhendé comme une fin en soi de l’action publique : quelle collectivité territoriale avouerait ne pas oeuvrer pour le bien-être de ses habitants ? Il est aussi perçu comme un facteur d’attractivité et donc de développement. Toutefois, on ne sait pas trop quels en sont vraiment les ingrédients indispensables, car les situations objectives et subjectives ne sont pas forcément liées. On connaît ainsi des territoires qui malgré de grands atouts paysagers sont les endroits où l’on se suicide le plus (la Bretagne par exemple). Ce qui peut soulever des questions embarrassantes, malgré des situations objectivement de qualité, tant que les raisons, peutêtre multiples, du mal-être n’ont pas été élucidées. Ce débat en rappelle d’autres, sur la «qualité» des paysages par exemple : confrontation entre une réalité objective et des interprétations subjectives liées à une expérience antérieure, une culture ou aux émotions de l’instant. Faudra-t-il «inventer» une qualité de vie comme on invente un paysage ou bien le paysage est-il déjà la transcription que nous nous faisons d’une certaine idée du bien-être ? A la lecture des différentes approches de la qualité de vie, on constate que chacun finit peu ou prou par se positionner par rapport à une moyenne ou à une norme, pouvant s’appeler «normalité», «standard de vie», «invariants», «idéal de vie»… La recherche a besoin d’un système de référence pour mesurer des écarts à défaut de pouvoir mesurer le bien être, un bonheur (ou des bonheurs) dans l’absolu. Mais n’est-on pas déjà dans les conséquences d’un marketing insidieux qui manipulerait nos besoins imaginaires et qui pousserait toujours plus loin les limites du bonheur idéal ?

Le bien-être urbain et la qualité de vie sont désormais entrés dans le champ de la recherche. Le «bonheur territorial» demeure une aspiration humaine fondamentale mais la mesure de ce nouveau concept, à la fois transversal et subjectif puisqu’il associe les territoires et les hommes, reste encore largement à inventer.

Ce dossier propose une synthèse des travaux conduits par le Club Eco-FNAU en 2004. Il a été préparé par : Isabelle MEYNARD, Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Marseillaise (AGAM), Jean PICON, Agence d’Urbanisme du Pays d’Aix (AUPA), tous deux co-animateurs du club Eco- FNAU, Patrick TANGUY et Jean-François PERETJATKO, Agence d’Urbanisme et de développement du Pays de Brest et Agnès CHAROUSSET, FNAU. Il intègre des éléments de la thèse de Natalia SAULNIER, Agence d'urbanisme pour le développement de l'agglomération lyonnaise : "De la qualité de vie au diagnostic urbain : vers une nouvelle méthode d’évaluation. Le cas de la ville de Lyon".


Mis en ligne le 15/12/2007 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pierreratcliffe.blogspot.com