Lettre de François Cavallier au préfet du Var
Toulon 23 mai 2011

Monsieur le Préfet,

C'est dans le cadre de la révision du schéma départemental de la coopération intercommunale, et en préalable à l'audience que je vous remercie d'avoir accepté de m'accorder pour ce 9 juin, que je vous fais parvenir ces quelques lignes exprimant le sentiment unanime des huit maires des communes de notre canton.

Si chacun comprend bien que votre action s'inscrit dans le cadre d'une nécessaire modernisation des intercommunalités, et si chacun souscrit aux objectifs de couverture intégrale, de rationalisation et de pertinence, nous ne vous cachons pas notre perplexité devant le résultat auquel cette démarche a mené notre canton dans votre projet actuel, c'est-à-dire notre rattachement à une grande intercommunalité Est-Var.

C'est justement d'abord sur la question de la pertinence (telle que la déploie votre projet de schéma, document visé par les pages citées ci-dessous) que je voulais attirer votre attention.

Prenons d'abord cette pertinence au sens de l'échelle quantitative. Sommes-nous, avec les 35900 hectares de notre canton, un de ces périmètres trop " "restreints " (p.3), et, avec nos 23500 habitants, une de ces communautés à trop " faible population " (p.3) ? Pas plus en tous cas que celle du Cœur du Var, qui nous est parfaitement comparable au plan quantitatif (38600 ha et 33 000 habitants). D'ailleurs on ne trouve trace nulle part d'indication réglementaire qui limite impérativement à six le nombre des intercommunalités restantes par département, là où nombre de vos homologues se contentent de plafonds à vingt intercommunalités ou plus.

Notre communauté actuelle fait-elle montre d'un dynamisme insuffisant, avec son investissement multiplié, selon vos chiffres, par 24 en trois ans (p.39) pour que nous apparaissions comme une véritable intercommunalité de projet ? N'y a t-il pas là d'ailleurs malentendu, tant il a toujours été clair que l'agglomération Fréjus-Saint-Raphaël, si intelligemment dirigée par ailleurs, est une intercommunalité d'opportunité et non de projet ? Comment la constitution d'un territoire aussi vaste que disparate, et dont les structures se sont dotées de compétences si différentes, ne fera-t-elle pas exploser les charges de fonctionnement de cette agglo, déjà les plus hautes du Var et significativement supérieures à la moyenne nationale (p.33) ? Les réponses que vous donneront sur cette " rationalisation " nos collègues littoraux ne seront pas enthousiastes.

La pertinence dans nos esprits a aussi évidemment un sens tout autre, celui qui est conféré par une légitimité institutionnelle, administrative et politique. Sur ce plan, le rédacteur de votre schéma manque d'ailleurs rarement d'invoquer la valeur argumentative des superpositions (c'est-à-dire de la correspondance du cadre prescrit avec les cadres antérieurs) : c'est le cas aux pages 53, 55 et 61-62 au prix d'une pétition de principe qui consiste à revendiquer pour le tout les avantages de la partie. Mais en l'espèce, notre intercommunalité actuelle est la seule du Var dont le territoire renvoie à la fois à un canton, à un des huit territoires définis par le Conseil général, à un SCOT et à un EPCI. Cela vous semble-t-il avoir été dicté, à chacune de ces quatre fois, par une coupable négligence ? Puisqu'il faut " capitaliser " (p.58) sur les habitudes de travail en commun, pourquoi ne pas prendre en compte que les nôtres remontent à 1966 ? Que faut-il de plus pour que la pertinence de son maintien saute enfin aux yeux de tous ?

Pour achever de rendre tout cela illisible, le récent redécoupage législatif a versé le canton de Fayence dans une huitième et nouvelle circonscription Est-Ouest (Verdon-Siagne ?) avec la Dracénie. Comment alors envisager le destin de ce canton, azimuté Est-Ouest puis Nord-Sud, autrement que comme supplétif des uns puis des autres ? Bouche-trou inclassable, condiment du lasagne législatif et de la tagliatelle intercommunale, notre territoire ainsi disloqué ne manquera pas évidemment de perdre toute influence, ce qui le rayera instantanément d'une carte politique dont pourtant ses soutiens et ses subventions de demain dépendent.

On en viendrait donc à regarder le territoire " Coeur du Var " avec quelque envie, et j'ai cherché dans le projet de schéma les raisons invoquées par vos services pour l'épargner. A ma grande surprise, je n'en ai trouvé aucune : si les pages 57 à 75 sont consacrées aux argumentaires justifiant les fusions, rien ne vient expliquer que " Cœur du Var " reste seul comme si c'était là une mesure par défaut, concédée discrètement au vu de l'impossibilité de l'annexer décemment à une logique de strict abattage quantitatif. On se serait pourtant attendu à ce que des raisons positives, telle la grande absente de ce document de 122 pages, l'identité, puisse être, même pour cet usage, repérée et invoquée.

Même si le mot n'est pas prononcé, la notion est pourtant circonvenue par votre document, qui ne manque pas de poser de vrais problèmes. Dès la page 5, les notions de " contagion rurale " par l'urbanisation et le sort des " navetteurs " convoquent en effet l'alternative décisive : celle de l'urbain et du rural. Mais, dès lors que la lutte contre le " découplage emploi-démographie " (p.6) est ensuite proclamée, on ne sait plus trop ce que doit devenir le rural : une banlieue à agréger ou une valeur à conserver. La confusion n'est pas levée par la lecture de la page 20, selon laquelle il y a déjà plus d'agglos qu'ailleurs dans ce département où par ailleurs les communautés de communes sont plutôt rurales, ce qui est aussi sibyllin que l'adage dont m'avait instruit un cadre de la DDTM : ne rapprochez pas vos actifs des emplois, mais les emplois de vos actifs !
Soit, mais en pratique ? Pour conjurer les découplages, deux options. La première, protéger l'identité rurale. Ce qui voudrait dire rester entre nous, éventuellement augmentés de ceux qui nous ressemblent, c'est-à-dire Bagnols, Les Adrets, le canton de Comps, sans aller jusqu'à effleurer le tabou administratif absolu (Saint-Vallier). Ou bien, seconde option : nous agréger à un pôle d'activité afin que nous ne soyons pas découplés. C'est là que les choses se corsent : à quel pôle ? C'est que la confusion règne dans nos orbites. Gravitant autour de la zone d'emploi de Draguignan (p.46), du pôle urbain de Cannes-Grasse-Nice (p.49) ou du bassin d'habitat de la Dracénie (p.50), mais jamais à aucun égard de Fréjus ou Saint-Raphaël, notre canton peut-il former avec ces dernières un territoire " homogène " (p.57) ?

Il n'est pas difficile d'imputer ces piétinements à la présence d'un non-dit de poids. Le fait est que la réalité actuelle de notre territoire en place le pôle attractif principal dans les Alpes-Maritimes. Puisqu'il est acquis (au nom de règles que nous ne contestons pas mais dont la base réglementaire reste floue) que rien d'interdépartemental ne sera fait, il faut au moins renoncer à la question des flux pendulaires comme critère de rattachement à Fréjus-Saint-Raphaël plutôt qu'à Draguignan : sinon, autant dire que la première cause de mortalité en France est le suicide (2%) sous prétexte qu'on a entre autres révoqué par hypothèse toutes les maladies (60 %) et qu'il y a quand même deux fois plus de suicidés que de morts sur la route (1%). A ce stade, une discrète schizophrénie nappe l'analyse : on ne sait plus s'il s'agit de faire front commun (la " confrontation commune " de la p.58) contre le 06 ou d'organiser avec ce voisin une " coopération " (p.72) dont on se demande alors pourquoi elle ne serait pas interdépartementale. Bref, les Alpes-Maritimes servent, à Fréjus, Saint-Raphaël et notre canton, d'excipient méthodologique, c'est-à-dire de pôle répulsif commun : s'agit-il d'un lien suffisant ?

Le " territoire vécu " sur lequel votre document fait fond, c'est notre territoire, celui que ses habitants désignent entre eux par " le canton ", celui dont ils ont une conception très forte de l'identité. Ce territoire, que votre agenda ne vous a pas encore permis de visiter (nous aurions plaisir à vous le présenter de visu), est physiquement séparé de celui auquel on entend le rattacher par une montagne que je regarde, massive, étale, et verte sur l'horizon, en vous écrivant ces lignes. Le pays de Fayence vient enfin de prendre la mesure des inconvénients de son attractivité. Ses élus apprennent à travailler ensemble et adoptent en ce moment dans le cadre de leur SCOT une attitude volontariste commune pour maîtriser leur développement et mutualiser l'aménagement de leur territoire. Rien ne casserait plus à contretemps cette dynamique enfin vertueuse comme l'indistinction d'une agglomération qui est la plus éloignée de nous de toutes celles qui nous entourent.

Nous sommes évidemment républicains, et nous saurons travailler avec nos partenaires du Sud si cela nous est imposé. Le schéma recense en la matière des précédents effectivement réussis, mais dont l'appartenance à une même circonscription législative, facteur qui vient de disparaître, a objectivement réuni les conditions. Nous ne contestions d'ailleurs pas que l'avenir à moyen ou long terme de notre territoire puisse être dans l'articulation à une agglomération. Mais il serait regrettable aujourd'hui de ne pas nous laisser lutter par nous-mêmes contre le phénomène qui détermine spécifiquement notre territoire (la rurbanisation par les actifs du 06). Il serait regrettable que le volontarisme méritoire et nécessaire de l'Etat en matière intercommunale puisse encourir des griefs d'illisibilité ou de précipitation pour des orientations qu'il est encore temps de revoir, dans l'esprit de souplesse suggéré sur le sujet par M.le Président de la République à Bormes ce 19 mai.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Préfet, l'expression de ma haute considération.

François Cavallier
Maire de Callian
Vice présiedent du Conseil Général
Président de la commission environnement
Président de la commission d'appels d'offres
Président de Var Habitat et de la SEM EZS